Si on avait prédit à Armand Arnal, ce jour d’avril 2006 où il mit le pied pour la première fois sur les terres de la Chassagnette, qu’il y écrirait les plus belles pages de son histoire, l’aurait-il cru ? Au fil des années, cette bergerie tout comme son environnement ont bien changé. La bâtisse s’est muée en maison de charme ; au jardin, ponctué d’oeillets d’Inde et d’ipomées, est venu s’adjoindre un potager de deux hectares. Le petit ruisseau qui irrigue la propriété est toujours là, suscitant un mélange étonnant d’éternité et de changement. Invariablement, lorsque sonne l’heure des services, le ballet de la salle et de la cuisine entrent en harmonie avec le site, ne faut-il pas déceler-là un des indices du haut niveau ?
A la Chassagnette, la partition est majoritairement végétale. Lorsque s’éloignent les suffocantes chaleurs de l’été, Arnal, à l’instar de son potager, retrouve une belle vigueur qui ne le quittera pas de tout le repas. Chaque jour, la jeune sommelière imagine des mélanges de jus, à l’extracteur, filtrés ou pas, toujours gourmands. Aujourd’hui, au jus de mirabelles se mêle une infusion sauge-cassis réveillée d’un trait de citron. La farandole de mises en bouche débute, socca-courgettes et poichichade, chou à l’encre de seiche farci à la brandade et citron confit, tartelette betterave et tempura de fleurs de courgettes. Le ton est donné, le repas sera herbacé, chlorophyllien et terrien.
Entre la douceur et l’acidité de la purée de blettes-épinards et gaspacho de betterave, le coeur balance. Le pressé de courgettes aux arômes de verveine est servi chaud, agrémenté d’un trait de yaourt de chèvre très à propos. La composition gagne en élégance avec un riz de Camargue (bien sûr) à l’ail confit et romarin. A la façon d’un pointilliste, Arnal joue par petites touches, un éclair iodé, une virgule sucrée, l’assiette surprend et s’harmonise au fil du repas. Son dessert, les lentilles confites sirop de vanille et coings cuits infusés vanille-compotée de coing-glace vanille citron vert, surprend d’abord, ravit ensuite par la finesse et la pertinence du discours.
Alors faut-il aller à la Chassagnette ?
Oui car le chef a quelque chose à raconter et le dit bien. On partage moins ici un repas qu’une conception très contemporaine et personnelle de la cuisine. Arnal a des convictions et les partage avec tact et un rare talent persuasif. Oui parce que le service est décontracté, amical et jamais obséquieux. Oui parce que le pain à la farine de riz, les petits cubes de pâte de fruit et le cookie chocolat qui accompagnent le café sont régressifs et délicieux. Oui car la Chassagnette montre la voie à certains cuisiniers qui imaginent d’abord leur carte sans se soucier du marché : « J’ai vite compris que je n’étais pas à Rungis, expliquait Armand Arnal au quotidien Le Monde voilà 3 ans. Il fallait se mettre en retrait de ce jardin et savoir attendre ce qu’il avait à me donner. C’est lui qui m’a le plus aidé à évoluer » Humilité et professionnalisme.
Mas de la Chassagnette, le Sambuc, 13200 Arles ; infos au 04 90 97 26 96. Formules 55, 74, 85, 90, 115 et 125 €.
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