
C’est la grande question qui agite la planète Mars ces dernières semaines : Marseille est-elle la capitale française de la pizza ? Lyon et Nice, proches de la frontière italienne, Paris et sa riche communauté transalpine, Toulon même, pourraient prétendre au titre mais l’Histoire en a décidé autrement. Pour être juste, on pourrait dire que Marseille, avec Naples bien sûr, et New York, compte parmi les villes qui ont bâti la renommée de « la plus transculturelle des préparations culinaires », comme la qualifie l’anthropologue et chercheur associée au CNRS, Sylvie Sanchez. Comment Marseille a-t-elle aidé la pizza dans sa conquête du monde ? Quelles sont les spécificités de la pizza marseillaise ? Le Grand Pastis s’est plongé dans les archives.
Le mot pizza est mentionné, dans son acception actuelle, en 1535, en dialecte napolitain et il figure pour la première fois dans un recueil culinaire en langue italienne en 1549. Il prendrait sa source comme étymon d’un mot gothique « bizzo » (morceau de pain, bouchée, fouace). D’autres sources attestent que la pizza est rattachée à la ville de Naples depuis le XVIe siècle et elle appartient au registre de la boulangerie.
« Une pâte aplatie et agrémentée de choses diverses »
Basilio Puoti
Dans un ouvrage de 1850, le « Vocabulario domestico napoletano e toscano », écrit par Basilio Puoti, on découvre que la pizza peut être sucrée (avec du sucre et des amades dans sa version la plus simple) ou salée. L’auteur insiste aussi sur son principe de base : « Il s’agit d’une pâte aplatie et agrémentée de choses diverses ». C’est au XIXe siècle qu’on nous apprend que la pizza salée est surtout réservée au peuple et c’est cette version que les migrants, fuyant la misère et la faim, emmèneront avec eux lors des grandes migrations, à New York et à Marseille. A Naples, dès la première moitié du XIXe siècle, elle est vendue à la part par de jeunes garçons sur leur petit comptoir ambulant. La pizza existe alors bianca (au saindoux et au basilic), ou rossa, à la tomate, à l’ail, à l’origan, au poivre, à la mozza et à l’anchois.
Capitale française de la pizza
Chose curieuse, la popularité de la pizza n’a jamais dépassé les frontières de Naples ; c’est véritablement hors les murs italiens, à New York et Marseille, que ce mets va connaître un destin surprenant. Fin XIXe une pizza Rossa Margherita cartonne dans les fêtes des saints italiens de la Little Italy de NY. En 1903, la pizza bianca, cuisinée dans une cantine du Vieux-Port de Marseille, côté mairie, connaît un immense succès. Aux USA, la mozza a dû être fabriquée à partir du lait de vache et non plus de bufflonne, à Marseille, la pizza bianca s’est enrichie de saucisse italienne. Si, aux Etats unis, pour s’intégrer, il fallait manger de la tomate comme les Américains, cette pression alimentaire ne s’est pas exercée à Marseille. La cité phocéenne a longtemps mangé cette pizza bianca au saindoux, agrémentée de basilic et de sel avant de basculer dans la tomate à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

A Marseille, la pizza est longtemps restée un mets qui permettait à la communauté expatriée de faire vibrer les liens autour d’un partage collectif : les ouvriers se retrouvaient autour de la table et déchiraient leur pizza pour la manger à la main. Les décennies se suivent et les Italiens de la 3e génération s’ancrent à Marseille ; les plus jeunes retournent moins souvent au pays que leurs aînés. Cet enracinement en Provence et à Marseille aura pour conséquence de gommer certains particularismes locaux au profit d’une cuisine italienne qui n’existe pas en Italie. Ainsi est née la pizza marseillaise, « une pizza pas comme les nôtres, très bonne et qui n’a pas trahi l’esprit de la pizza napolitaine », se réjouissent quantité de touristes italiens aujourd’hui, lorsqu’ils séjournent à Marseille.
La première pizzéria a ouvert à Paris en 1950 et à Milan en 1960 !
Dans l’entre-deux guerres, les pizzerias naissent, différentes des restaurants. Etienne, Angèle, Sauveur conservent le rôle de « gardiens de la tradition ». Des changements surviennent : aux Etats-unis, de garniture possible, le fromage devient garniture structurante. En France, c’est la tomate qui devient ultra dominante. A Paris, la première pizzeria ouvre ses portes en 1950, longtemps après Marseille. La Provence utilise la tomate pendelotte, très proche parente de la San Marzano, les anchois siciliens prennent leurs aises. Pas de mozza ? Pas grave, les Italiens eux-mêmes la remplacent par de l’emmental, plus gras, plus salé, en un mot : plus sexy.
Après-guerre, Marseille cultive sa singularité avec l’invention géniale du camion pizza. Pourquoi géniale ? Parce que le laboratorio italien se compose d’un four, d’une table de travail et d’un comptoir de vente. Jean Méritan reproduit le laboratorio mais avec des roulettes cette fois.
A toutes les sauces
Levain ou levure, peu importe, à Marseille, elle est fine, à l’anchois ou au fromage (voire les deux en versions moit’-moit’). On fait infuser de l’ail dans sa sauce tomate, on y ajoute de l’origan. Unilatéralement cuite, elle n’a pas les trottoirs épais ni mollassons de sa cousine napolitaine. Considérée comme la plus exportable et la plus transculturelle des préparations culinaires, la pizza peut être cacher, hallal, végétarienne, couverte de haricots rouges, de spaghetti ou de frites (USA), mais également d’ananas (Hawaï). Marseille capitale de la pizza ? Oui, une capitale planétaire qui se partage le titre avec New-York et Naples.
A lire « Frontières alimentaires et mets transfrontaliers : la pizza, questionnement d’un paradoxe », Sylvie Sanchez / Anthropologie et Sociétés vol.32, 2008
Catherine Mallaval, Libération, 2007




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